Source: SciDev.Net
Les femmes sont souvent les principales pourvoyeuses d’eau dans les ménages; mais la pandémie leur a compliqué la tâche.
Les mesures d’urgence, telles que le confinement, prises pour lutter contre la propagation de la COVID-19 ont affecté les capacités des femmes et des filles à répondre à leurs besoins en matière d’eau, d’assainissement et d’hygiène.
C’est le constat fait par de nombreuses organisations non gouvernementales et des associations plus de deux ans après l’apparition du virus en Afrique.
“La COVID-19 a, dans une certaine mesure, influencé négativement l’accès à l’eau des jeunes filles qui avaient pour seule opportunité le milieu scolaire pour avoir accès à l’eau pour leurs besoins personnels et domestiques”, affirme Murielle Elouga, chargée de programme “Eau, climat, développement et genre” à Global Water Partnership - Afrique centrale.
Cependant, “les femmes souffrant de la COVID-19 ne pouvaient plus accéder à l’eau comme d’habitude ni assurer la gestion de cette eau pour les besoins domestiques, car elles étaient mises en quarantaine”, ajoute-t-elle.
Néné Djamilatou, responsable de l’association des femmes notables dans la ville de Ngaoundéré, dans le nord du Cameroun, a été témoin des difficultés des femmes en matière de gestion d’eau pendant la crise sanitaire.
“A Ngaoundéré, précisément au quartier Mbideng, il y a des mamans qui n’arrivaient pas à avoir l’eau comme elles le souhaitent à cause de l’interdiction des mouvements. Elles étaient obligées de se déplacer elles-même pour les points d’eau pour ne pas exposer leurs enfants”, confie-t-elle à SciDev.Net.
Ces témoignages concordent avec des informations contenues dans un rapport publié au mois de septembre 2021 par l’équipe régionale d’Afrique de l’Est de WaterAid, une organisation non gouvernementale internationale qui travaille pour l’amélioration de l’accès à l’eau potable dans les communautés pauvres.
Le rapport, constitué d’un travail de recherche mené par Desideria Benini, de l’Université de Leeds en Angleterre, et d’une étude conduite par FEMNET (African Women’s Development et Communication Network) en Ethiopie, au Kenya, au Rwanda, en Tanzanie et en Ouganda est intitulé “The Gender, Equity and Inclusion Dimensions of the COVID-19 WASH Emergency Response.”
L'étude révèle qu’en matière d’eau, d’assainissement et d’hygiène (WASH), les femmes et les filles ont été laissées pour compte dans les réponses d’urgence pour prévenir la propagation de la COVID-19.
PROPORTION DES GENS QUI ESTIMENT QUE LES INSTALLATIONS WASH D’URGENCE NE SONT PAS ADAPTEES AUX FEMMES EN PLUS DE NE PAS ETRE ACCESSIBLES
Ainsi, 52% des personnes interrogées affirment que les femmes n’ont pas été impliquées dans les prises de décisions contre 7% qui ont évoqué une faible représentation formelle de celles-ci.
Demande accrue en eau
Selon les résultats obtenus, 26% des personnes interrogées estiment que les mesures anti-COVID-19 ont accru la demande en eau et en matériel d’hygiène. Alors que 9% soutiennent que ces mesures ont entraîné une augmentation du coût de l’eau et 7% une diminution de la disponibilité de l’eau.
Conséquences: la rareté de l’eau ou le manque d’eau a gravement affecté la capacité des filles et des femmes à satisfaire leurs besoins en matière de santé et d’hygiène menstruelles.
IMPACT DE L’URGENCE ET DES MESURES DE REPONSE DU GOUVERNEMENT SUR L’ACCES A L’EAU, A L’ASSAINISSEMENT ET A L’HYGIENE POUR LES FEMMES, LES FILLES ET LES PERSONNES HADICAPEES EN AFRIQUE DE L’EST
Interrogée par SciDev.Net, Desideria Benini, souligne que les résultats de ce rapport “indiquent que les femmes des communautés interrogées, en particulier celles qui vivent avec un handicap, sont vulnérables de manière disproportionnée à l’impact de la COVID-19 sur l’accès à l’eau et à l’assainissement”.
Ce point de vue est partagé par Lata Narayanaswamy, professeure associée en développement à l’Université de Leeds en Angleterre, qui a supervisé les travaux du rapport.
Selon leurs explications, l’épidémie aura rendu l’accès à l’eau plus difficile tout en mettant davantage de pression sur les femmes et les jeunes filles qui, comme le souligne le rapport, sont responsables de manière disproportionnée de l’accès des ménages à l’eau pour cuisiner, boire et se laver.
En effet, au Kenya par exemple, 86% des gens affirment que la pandémie n’a rien changé quant à la position des femmes comme principales pourvoyeuses et utilisatrices de l’eau dans les ménages. Situation légèrement différente en Tanzanie où 50% des personnes interrogées trouvent que la crise sanitaire a entraîné un partage de cette tâche entre les femmes et leurs époux.
En termes d’accessibilité, 75% des personnes interrogées signalent que les points d’eau, les installations sanitaires et les stations de lavage des mains sont inaccessibles, indisponibles et peu sûrs pour les femmes, les filles et les personnes handicapées.
STRATEGIES ADOPTEES PAR LES FEMMES, LES FILLES ET LES PERSONNES HANDICAPEES POUR FAIRE FACE A DES POINTS D’EAU ET INSTALLATIONS SANITAIRES DIFFICILEMENT ACCESSIBLES ET/OU PEU SURS PENDANT LA CRISE
Pour faire face à ces différentes situations, plusieurs ont développé des stratégies d’adaptation. Ainsi, 47% des personnes interrogées ont dit stocker de l’eau dans de vieux récipients. 18% ont soutenu avoir diminué la consommation de nourriture et d’eau pour minimiser le besoin d’utiliser les installations, et les voyages en groupe étaient préférés par 16% des personnes interrogées.
Approche universelle et inter-sectionnelle
Desideria Benini rappelle que l’objectif fondamental de son travail était d’aider le secteur des urgences en matière d’eau, d’assainissement et d’hygiène à examiner les crises à travers le prisme du genre, afin d’adopter des réponses qui favorisent l’équité et l’inclusion.
L’incapacité à répondre aux besoins en matière d’eau, d’assainissement et d’hygiène n’a pas seulement des conséquences néfastes sur la santé. Elle empêche également les femmes de participer à la société sur un pied d’égalité, souligne-t-elle.
“Cela réaffirme l’importance de fonder les plans d’intervention et les lignes directrices sur des analyses de genre solides qui examinent les différents rôles, relations et dynamiques de pouvoir entre les sexes au sein des ménages et des communautés”, soutient Desideria Benini.
Cette dernière pense aussi qu’en exposant l’exclusion des femmes des processus de prise de décision, “cette étude peut encourager les acteurs du secteur eau, assainissement et hygiène à renforcer leurs efforts pour inclure les femmes et les organisations de femmes dans les postes de direction et les structures de prise de décision pour répondre à la COVID-19.”
Lata Narayanaswamy estime pour sa part que pour garantir un accès des femmes et des filles à l’eau, il faut une approche plus universelle et intersectionnelle, ceci afin de comprendre l’inégalité d’accès à l’eau, et “promouvoir des services publics dont le principe directeur est le droit humain à l’eau, et des ressources visant à garantir que, grâce à ce mandat, chacun ait accès à une eau propre pour tous ses besoins de nettoyage, de lavage, de boisson et de cuisine.”
Pour Murielle Elouga, il faut, concernant les jeunes filles, multiplier les opérations de secours de distribution de l’eau dans les communautés en cas de crise.
Elle propose aussi une sensibilisation “sensible” au genre sur les mesures préventives liées à la COVID-19 et une sensibilisation pour l’égalité dans la gestion de l’eau dans les ménages, afin qu’en cas de crise des relais puissent être assurés pour gérer l’eau et aider les femmes.